Prise en charge du billet du second accompagnant : le rétropédalage surprise du gouvernement

Malgré ce qui avait été annoncé à plusieurs reprises par les services de l’État, le billet du second accompagnant ne fera pas l’objet d’un décret. L’information a été annoncée mardi 27 avril lors d’une réunion à la préfecture de Corse.

« Nous sommes tombés des nues ». Au bout du téléphone, la voix de Laetitia Cucchi laissait encore transparaître, ce mercredi 28 avril, une certaine incrédulité. Au lendemain de son rendez-vous en préfecture d’Ajaccio avec la directrice adjointe du cabinet du ministre de la Cohésion des territoires, la présidente de l’association Inseme est encore sonnée par ce qu’on lui a annoncé mardi soir : le billet du second accompagnant d’un enfant malade ne fera pas l’objet d’un décret. « On ne s’y attendait pas du tout, poursuit Laetitia Cucchi. On pensait que c’était un petit peu passé à la trappe à cause de l’actualité liée à la crise sanitaire. À l’origine, l’objet de ce rendez-vous était de rappeler l’existence de ce dossier et de l’urgence à publier le décret. Mais, à notre grande stupeur, on nous a dit qu’il n’y avait pas de projet de décret prévu et qu’on avait mal compris. »

Ce n’est pourtant pas ce qui avait été martelé à plusieurs reprises depuis mars 2019 par les différents représentants des services de l’État. « À notre grande surprise, il nous a été répondu que ni le gouvernement, ni le président de la République ne se sont engagés à publier un décret de nature à pérenniser la prise en charge du second accompagnant, explique l’association Inseme dans un communiqué. Ce revirement soudain et incompréhensible conduit à revenir sur la promesse faite par les plus hauts dirigeants du pays aux familles, à l’association et aux élus depuis plus de deux ans ! »

Par conséquent, ce qui était jusqu’à présent exceptionnel et temporaire demeure : le second parent peut toujours se faire rembourser son billet s’il en fait la démarche. Néanmoins, seules deux caisses (CPAM et MSA) le prennent en charge et pas de manière automatique. « Le billet de l’enfant et du premier parent étant un droit, le remboursement est automatique, explique la présidente d’Inseme dont la structure accompagne près de 3.000 malades par an sur le Continent. On nous avait dit qu’il en serait de même pour le deuxième parent. Mais pour ça, il fallait un décret afin que ce soit un droit. En attendant, un remboursement temporaire avait été mis en place dans les caisses sociales. Là, on nous a dit que le temporaire allait durer et qu’il n’y aurait rien d’autre. De plus, c’est un dispositif qui entraîne des démarches administratives supplémentaires et ne s’adresse pas à tous les Corses. »

  • Les budgets attribués aux Caisses sont exceptionnels et ne sont pas garantis d’une année sur l’autre.
  • Seules les CPAM et la MSA pratiquent ce dispositif transitoire, les Corses assurés auprès d’autres Caisses ne peuvent pas en bénéficier.
  • Les parents doivent accomplir une démarche administrative supplémentaire, en plus de celle relative à la prise en charge de l’enfant et du 1er accompagnant (qui sont un droit), pour bénéficier de ce remboursement (qui est une aide exceptionnelle).
  • Les parents doivent faire l’avance des frais.

Des promesses non tenues

L’annonce faite mardi soir en préfecture de région par le cabinet de Jacqueline Gourault apparaît comme un revirement brutal de la part du gouvernement. Depuis deux ans, les représentants de l’État avaient en effet multiplié les annonces en vue de ce futur décret.

Il y avait d’abord eu la phrase lâchée par Jacqueline Gourault en mars 2019, lors de la visite en Corse de la ministre de la Cohésion des territoires : « Le ministère de la Santé est d’accord sur la prise en charge par l’assurance maladie des coûts de transports du deuxième accompagnant qui permettra en particulier à des parents de pouvoir accompagner leurs enfants pour des soins en pédiatrie. »

Une première sortie qui n’avait pas manqué de réjouir les différentes associations d’aide aux malades sur l’île.

Dans la foulée, en mai 2019, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, avait emboîté le pas de sa consoeur au cours d’une visite ministérielle en Corse. Six mois plus tard, dans un courrier daté du 5 novembre 2019 et adressé à l’association Inseme, la ministre avait écrit :  « un décret est en préparation et se substituera, une fois en vigueur, aux dispositions relevant de l’action sociale. »

Lire en intégralité la lettre d'Agnès Buzyn à Laetitia Cucchi, présidente de l'association Inseme

 Même la préfète de Corse de l’époque, Josiane Chevalier, avait corroboré les dires de la ministre.

En septembre dernier, lors d’un point presse à la préfecture de région, c’est Emmanuel Macron en personne qui avait confirmé « la prise en charge pérenne du deuxième accompagnant, dans le cadre des déplacements médicaux Corse-Continent, avec une entrée en vigueur avant la fin du mois de septembre. »

Néanmoins, le décret présenté par le chef de l’État s’était révélé plus restrictif que prévu, étant basé sur des critères excluant les enfants entre 16 et 18 ans. Ce qui n’avait pas manqué de faire réagir de la Corse à Paris. À Ajaccio, une délégation de parents d'enfant malade et d'association avait été reçue en préfecture. À Paris, à l’Assemblée nationale, le député nationaliste Jean-Félix Acquaviva avait quant à lui interpellé l’actuel ministre de la Santé, Olivier Véran, sur cette question précise.

Là encore, le ministre évoquait ce fameux décret : « Effectivement, ma prédécesseuse (Agnès Buzyn, ndlr) s’était engagée à prendre en charge les frais de transport d’un deuxième accompagnant, alors que le droit commun prévoit un seul accompagnant ; elle a instauré un dispositif extra-légal en mars 2019. Vous l’avez dit également : lors de son déplacement en Corse au mois de septembre, le Président de la République s’est engagé à pérenniser le dispositif. Un décret va paraître pour le conforter dans le droit ; les parents ne rencontreront donc plus de difficultés et n’auront plus à avancer de frais. » Autant d’annonces et de promesses qui semblent, depuis mardi soir, n’avoir jamais existé.

« Pas un problème budgétaire »

Du côté d’Inseme, l’incompréhension demeure face à ce rétropédalage qui intervient juste après la visite de Jacqueline Gourault sur l’île. L’obtention du remboursement automatique pour le deuxième parent est, depuis la création de l’association en 2009, un véritable leitmotiv.  « On nous a dit et redit que ce combat était juste et légitime, soutient Laetitia Cucchi. Ce n’est pas de la faute des enfants et de leurs parents s’il n y’a pas de CHU en Corse et qu’ils sont obligés de partir se faire soigner sur le Continent. Cela engendre des coûts très importants. Politiquement, notre combat a fait l’unanimité. Tous les groupes politiques sont d’accord avec nous. Raison pour laquelle on ne s’explique pas ce revirement. »

Pour Laetitia Cucchi, cela n’est pas lié à un « problème budgétaire » : « On nous l’a confirmé, précise-t-elle. Cela représente une « petite » enveloppe d’environ 400.000 euros par an. Lors de son voyage en Corse en septembre dernier, Emmanuel Macron avait bien dit que le financement serait garanti sans passer par l’action sociale des caisses. Or, aujourd’hui, on est sur l’action sociale et les budgets ne sont pas garantis. Le risque, c’est qu’on nous dise un jour qu’il n’y a plus d’argent. C’est un budget exceptionnel, il n’est donc pas sécurisé. Agnès Buzyn avait dit qu’on fonctionnerait comme ça en attendant le décret. Comme ça pouvait mettre un peu de temps, elle avait dit que son engagement pourrait entrer en vigueur tout de suite. Pour nous, c’était une extraordinaire avancée. Or, aujourd’hui, on nous dit qu’il faudra se contenter du temporaire et de l’exceptionnel. On a l’impression d’avoir été trompés. Certains parents se sentent instrumentalisés car les promesses n’ont pas été tenues. »

Malgré tout, l’association Inseme entend poursuivre son combat. « On ne va pas laisser tomber, affirme Laetitia Cucchi. Marlène Schiappa avait obtenu qu’on ait un rendez-vous le 5 mai à l’ARS. On attend donc cette réunion et, en fonction de ce qu’il en ressort, on convoquera une conférence de presse et on engagera certainement des actions publiques très fortes. On ne va pas abandonner comme ça. »

 

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